Un entretien de Jean Ferrat sur Bové

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Nous avons trouvé cet entretien de Jean Ferrat qui date de juin 2003 à l'époque où José Bové avait été emprisonné...

Jean Ferrat : " Cette violence, c’est comme si je la subissais "

Entretien réalisé par Charles Silvestre

 

Profondément choqué par l’arrestation de José Bové, le chanteur s’interroge sur cette drôle de République où il faut demander grâce, comme au temps des rois, pour un homme qui pose des questions vitales. Il sera le 9 août au Larzac. Entretien.

José Bové a été arrêté dimanche à l’aube avec des hélicoptères, des chiens, des policiers, etc. Comment avez-vous réagi à cette nouvelle ?

Jean Ferrat. Je l’ai apprise dès dimanche matin par un premier bulletin radio à 8 heures. La veille, j’étais rentré de voyage. L’arrestation ne m’a qu’à moitié surpris, car je savais qu’il s’y attendait pour la fin du mois de juin. La façon dont cela s’est fait m’a complètement indigné. Je venais précisément de lire une interview de Bové qui était parue dans l’Humanité du vendredi, interview dans laquelle il disait ne pas vouloir s’opposer à son arrestation. Ils ont pourtant défoncé sa porte comme si c’était un gangster. Je ne supporte pas cela, je le supporte d’autant moins que j’ai entendu le ministre de la Justice affirmer le contraire, que Bové devait s’opposer à son arrestation. Donc, apparemment, le ministre ment. Ou alors il faut trancher cette question : y a-t-il eu une déclaration de ce type ou, ce qui est probable, la lui a-t-on prêtée pour mieux justifier cette méthode inqualifiable. Tout cela est bien douloureux, c’est ce que j’éprouve, et j’adresse à José Bové un grand salut. À l’ombre de mes châtaigniers, je pense à lui et à sa petite cellule surchauffée en prison.

Le fait, pour vous, de l’avoir connu, rencontré à Antraigues notamment, vous fait-il ressentir cette violence de l’arrestation de façon particulière ?

Jean Ferrat. Je la ressens comme si je la subissais moi-même. J’ai beaucoup de choses qui me relient à José Bové, en particulier au travers des actions contre le monde tel que l’on veut nous l’imposer. Je me suis toujours opposé aux dérives de ce monde qui proviennent essentiellement de la suprématie totale des grandes sociétés multinationales, ces nouvelles féodalités du XXIe siècle qui ont la puissance d’empires mondiaux. Cette puissance s’exerce dans tous les domaines, dans le domaine économique bien évidemment, mais aussi, par le jeu des influences, dans le domaine politique, ce qui a des conséquences gravissimes pour les populations qu’elles dominent. C’est fait d’une manière si habile que ce n’est pas clair pour tout le monde, mais je crois que de plus en plus de gens commencent à comprendre. Il faut vraiment s’intéresser à la chose pour saisir les mécanismes de ces nouvelles puissances du capitalisme. Je ne croyais pas, je l’avoue, à un changement si total et si rapide. Mais, dès le début du XXIe siècle, on est entré dans un autre monde, un monde très dangereux pour les démocraties, très dangereux pour les hommes, et c’est ce qui explique sans doute la peur qu’éprouvent les gens d’être dominés sans pouvoir réagir, d’être impuissants devant ces nouvelles féodalités comme l’étaient les serfs au Moyen ¶ge devant les seigneurs.

Ce que vous observez là est-il valable, à vos yeux, pour le monde de la culture, de la musique, de la chanson ?

Jean Ferrat. Il y a quelque chose de commun, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, entre la bagarre de José Bové, de la Confédération paysanne, dans le domaine de l’agriculture, et ce qui se passe dans mon métier. Les multinationales de la culture, les fameuses industries culturelles, j’en ai apporté des preuves concernant la chanson, mais il en existe bien d’autres manifestations, agissent de la même manière dans notre domaine. Elles veulent tout. Le patron américain du cinéma à qui on faisait observer qu’il contrôlait déjà 80 % du marché en Europe a eu cette repartie : notre objectif, c’est 100 % ! Ces multinationales ne supportent pas qu’existe toujours, et je l’espère pour longtemps encore, (mais hélas avec un point d’interrogation à propos de la détermination des autorités), ce que l’on appelle l’exception culturelle. Cette exception qui ne vaut pas que pour la France gêne la liberté du marché, la liberté de leur marché. J’ai posé des questions, publiquement, à l’actuel ministre de la Culture. Jean-Jacques Aillagon tient un discours disons rassurant, qui a été repris, d’ailleurs, par la plus haute autorité de l’État. Le président de la République, lors de la grande réunion des 100 organisations mondiales de la culture, réclamant justement une exception généralisée au monde, garantissant le droit pour les peuples et les pays de défendre, comme il l’entendent, les manifestations et les industries culturelles de leur pays sans en référer à l’OMC, s’est prononcé dans ce sens. Mieux vaut entendre cela que le contraire, mais j’aimerais voir ces discours être confirmés par des actes.

Ce qui se passe actuellement avec les intermittents du spectacle ne rend guère optimiste quant à la façon dont ce pouvoir traite précisément du monde la culture ?

Jean Ferrat. C’est pour cela que je m’entête à poser la question au ministre, qui a bien voulu faire allusion à mes propos : n’y a-t-il pas incompatibilité entre les positions affichées sur l’exception culturelle et la politique de ce même gouvernement qui libéralise à tout va, comme on le voit dans l’affaire grave des intermittents ?

Est-on menacé, selon une formule un peu osée, d’une culture transgénique, autrement dit fabriquée, formatée pour répondre à des critères de marketing, contre une culture que vous défendez, celle de l’indépendance, voire de l’artisanat, de la diversité ?

Jean Ferrat. C’est la situation actuelle, avec l’institution de grandes messes des variétés, Star Academy ou autres, qui monopolisent par exemple à Noël 60 % du marché. Les produits sont préfabriqués et le public n’a plus qu’à avaler ça. Plus la fabrication de masse des produits culturels se développe et plus la place de ceux qui ne sont pas dans le moule se rétrécit.

Pour en revenir directement à Bové, y a-t-il dans la brutalité de l’arrestation une forme de message à d’autres récalcitrants signifiant " à bon entendeur, salut " ?

Jean Ferrat. C’est évident. José Bové, même si certains peuvent juger ses méthodes parfois un peu définitives, incarne un combat essentiel contre les pouvoirs économiques et politiques. Parce qu’il parle des choses qui nous concernent tous, il a un impact. Il a le sens de la formule, de ce qui touche les gens directement, comme la malbouffe. À cet égard, évidemment, on peut le considérer, dans certains milieux, comme un homme dangereux.

On parle de grâce du président de la République, si vous aviez quelque chose à dire au chef de l’État que lui diriez-vous ?

Jean Ferrat. Je dirais que c’est une drôle de République dans laquelle on se voit obligé de demander une grâce, comme au temps des rois, pour un homme qui pose des questions essentielles pour la vie des hommes et leur avenir.

Vous envisagiez de vous rendre au Larzac pendant le grand rassemblement des 8, 9 et 10 août à la demande de José Bové. Dans quel esprit irez-vous, désormais, après son arrestation ?

Jean Ferrat. José m’en a parlé lors de l’émission que j’avais faite avec Michel Drucker en janvier. La question de sa liberté était encore en suspens. " Cela nous ferait plaisir, m’avait-il dit, que tu viennes à cette fête, qui aura lieu que je sois en prison ou non. " Je lui ai répondu que je viendrais, mais sans créer de confusion sur le sens de ma participation, c’est-à-dire sans que personne s’imagine qu’en cette occasion je pourrais remonter sur scène avec d’autres. Je ne veux surtout pas décevoir des gens qui, venus là de bonne foi pour m’entendre chanter, seraient déçus. Donc, avec José, nous avons pensé que dans le cadre des Amis de l’Humanité, qui seront présents au Larzac et dont il fait partie comme moi, je pourrais participer à une rencontre, comme cela avait été déjà le cas au Max-Linder puis à la Fête de l’Huma, sur les problèmes dont on vient de parler, ces problèmes culturels rapprochés des problèmes paysans, débattus avec des cinéastes, des gens de différentes disciplines. C’est dans cette mesure que j’ai confirmé ma venue à cette fête du Larzac.

Sources : L'Humanité

Posté par Adriana Evangelizt

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C
ah sacré José Bové, encore 30 heures de garde à vue ce week end !<br /> C\\\' est un phénomène...j\\\' espère utile<br /> http://politique1.over-blog.com<br /> http://mariani.over-blog.com<br />  
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N
A ceux qui lisent les commentaires, faites attention à ce que vous lisez (je fais référence au commentaire précédent très "de droite"...)A part ça, Monsieur Bové, si vous me lisez, sachez que je vous soutien à 100%. Si je pouvais, je me joindrais bien à vous. Je milite "tranquillement", de chez moi :-)Bon courage. Heureusement qu'il y a des gens comme vous, comme Nicolas Hulot ou encore Yann Arthus Bertrand. Même si vous n'avez pas la même manière, vous avez la même finalité : combattre le pouvoir de l'argent pour la protection de l'environnement (et l'homme fait parti de l'environnement).
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T
J'ai longtemps pensé que José Bové était une figure exemplaire de l'altermondialisme, mais tout ça a été balayé très vite quand j'ai appris que lui aussi s'acoquinait avec les islamistes... C'est désolant !
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Y
En réponse au commentaire ci-dessus :  il faut savoir que la Conférération Paysanne défend les petits agriculteurs notemment de l'agriculture biologique. A ne pas confondre avec la FNSEA qui elle défend les gros agriculteurs pollueurs.
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N
Bonjour,<br /> Voici copie du email adressé ce jour à la confération paysanne de Monsieur Bové:<br /> "Bonjour,Que Monsieur José Bové ait fait son cheval de bataille des OGM soit, mais si il est uniquement préoccupé par la santé des consommateurs pourquoi ne pas combattre aussi tous ces paysans qui empoisonnent nos assiettes avec les pesticides, les fongicides, les insecticides et toutes les saloperies d'engrais chimiques avec lesquelles ils pulvérisent leurs champs ? Cela ferait peut être trop de remous au sein du milieu paysan qui depuis des décennies a choisi la voie du chimique plutôt que de faire du bio. Bien sûr il y a des paysans bio mais ils ne sont certainement pas majoritaires dans la profession. Alors que l'on évite de prendre les consommateurs pour des cons en leur faisant prendre les vessies pour des lanternes et le combat contre les OGM un combat mené pour la santé publique... Les salades, les tomates, les haricots verts, les fruits et légumes qui sont vendus en grandes surfaces sont pollués par ces produits et ce sont bien des paysans "industrialisés" qui les produisent en grandes quantités. Commencez par faire le ménage dans le milieu paysan avant que de vouloir donner des leçons aux citadins sur la bonne façon de se nourrir. Bonne journée quand même."<br /> Je suis curieux de leur réponse... si réponse il y a.<br /> Salutations a vous
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