Un portrait

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Portrait de José Bové, 50 ans

 

 

La figure de proue de la Confédération paysanne doit savoir aujourd'hui s'il retourne pour 14 mois en prison.

JOSE BOVE en 7 dates

1953 Naissance à Bordeaux.

1972 Insoumission au service militaire.

1974 Installation sur le Larzac.

1987 Fondation de la Confédération paysanne.

12 août 1999 Démontage du McDo de Millau et incarcération.

Eté 2002 Incarcération pendant 44 jours pour fauchage de riz et de colza transgéniques.

29 janvier 2003 Décision de la cour d'appel de Montpellier pouvant entraîner une incarcération de 14 mois.

D'abord, il se ressemble. Ensuite, même un héros altermondialiste n'est pas tenu de se grimer de toute éternité en diva moustachue. Il était programmé en martyr du scientisme, en emprisonné de la cause anti-OGM. Le retour derrière les barreaux l'angoisse et voilà le meneur de la jacquerie des paysans du monde qui demande grâce au Jacquot des croquants qui croquent du productivisme. Il était légitimé par ses bacchantes au roquefort et ses brebis à traire, par son côté Lazare du Larzac, ressuscité d'entre les établis pour démontrer aux renégats que l'enracinement est la meilleure manière de lutter contre l'establishment, et le voilà qui change de vie, quitte sa femme et son village, et jubile de se satelliser pour aller plaider aux quatre vents contre la marchandisation de la planète. Et l'Astérix du terroir, le Super-Dupont bleu-blanc-bec, de battre en brèche sa caricature moquée par les mêmes qui l'avaient façonnée, pour révéler sa vraie nature d'anarcho-syndicaliste à godillots Méphisto et de VRP internationaliste en K-way tibétain. Brouillage d'une image saturée qui le rend d'autant plus intéressant...

Avant, les rencontres se faisaient là-haut sur le causse, dans la ferme réquisitionnée, devenue demeure douillette. Il recevait bouffarde au bec et chaussons aux pieds. On aurait pu aussi le retrouver à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), au siège de la Confédération paysanne, où le porte-parole à 1 200 euros mensuel dort à l'étage, dans des lits superposés. Là, on est à Roissy, vol pour Porto Alegre à venir. Il affiche un sourire cintré de bonhomie et une tranquillité de glaneur de saisons et de maître du temps. Impossible de couper au tutoiement, inutile de résister au charme d'un gaillard lucide et pédago, futé et décontracté. Qui a l'habileté de confesser ses «regrets» pour ses sorties déconnantes sur les attentats contre les synagogues.

Il est à des années-lumière de l'agressivité des sûrs-de-leur-fait ou des emberlificotis des manipulateurs. Il répond au salut de tous les Blacks du coin qui semblent l'avoir élu défenseur des dominés, de l'Afrique et d'ailleurs. On s'assoit à distance raisonnable du McDo local et il peut tremper lentement ses pilosités paille-foin dans une bière blonde. Alain Minc, ennemi autoproclamé, décrit (1) avec pertinence le Bové classique en «un Robin des Bois joufflu et gouailleur, héritier d'une culture de la truculence et du bon sens» et en «double de Walesa cloné par Coluche». Sans remarquer que le Bové pragmatique, activiste et guilleret cache aussi un assoiffé de réflexion, un lecteur assidu de Bakounine et de Thoreau, et un militant-symbole admirateur de Gandhi et Martin Luther King, échangeur de pipes avec le sous-commandant Marcos mais qui, parfois, renâcle devant les impératifs de la gloire.

Son rapport à la prison en est le meilleur symptôme. Le jeune objecteur de conscience l'a frôlé. Le «démonteur» du McDo en a tâté avec plaisir, menottes brandies. Mais le faucheur de marguerites transgéniques ne s'attendait pas à en reprendre une part. Incrédule, le désobéisseur civil, le tacticien transgresseur, a vu le gouvernement sécuritaire crier haro sur les syndicalistes. Là, il risque un rabiot de 14 mois. Auquel il ne pourra couper qu'en sollicitant la grâce présidentielle. Bové, l'opposant pathologique, en dette envers Chirac, l'intouchable, cruelle ironie ! En réfractaire qui se fiche du juridisme, Bové peut bien parler de créer un rapport de force, on devine surtout la douleur de l'enfermement. Il explique : «La première fois, la prison, tu découvres. Ensuite, tu retournes au même endroit. Tu te mets entre parenthèses. Les jours se ressemblent tous.» Il ajoute : «Il y a du bruit tout le temps. ça crie jour et nuit. Il n'y a aucune vue extérieure.» Peut-être est-ce ce qui manque le plus au marcheur des hauts plateaux, au toiseur d'horizon qui se fait construire un voilier pour rallier le Pacifique de ses combats et de ses rêves. Histoire de retrouver la Nouvelle-Calédonie de Djibaou, le Mururoa d'après les essais, mais aussi une civilisation de sensualité et de poisson mariné au lait de coco...

Inutile de rappeler que Bové n'est pas un d'Artagnan antiaméricain. Il a grandi en Californie où ses parents, lui luxembourgeois, elle bordelaise, étaient chercheurs dans les années 50. Il en garde un anglais alerte, un goût pour Dylan, Kerouac, et Brando dans Viva Zapata. Depuis Seattle, tout cela est public. Il est plus intéressant de pointer les influences religieuses de celui qui se définit «comme agnostique, non comme athée». Pacifiste et non-violent, Bové s'inspire volontiers de Dom Helder Camara. Il se réclame aussi des enseignements de Jacques Ellul, sociologue protestant, critique de la technique et apologue de la nature, mixant Rousseau et Heidegger. Et le Larzac, terre chrétienne réactivée, a souvent pris des airs de «plateau inspiré», façon Vézelay de la contre-culture. Pourtant, José-Jésus n'a pas le goût de la crucifixion. Peut-être parce qu'il veille à toujours injecter «du plaisir dans la lutte» et qu'il n'oublie pas de bien vivre quand il part à la conquête des «châteaux forts» avec ceux qu'il appelle avec tendresse «les gueux, les bouseux».

Avec les institutions, Bové entretient un rapport d'opposition frontale. Denis Pingaud, son biographe : «Bové est un antiautoritaire qui déteste physiquement les pouvoirs» (2). S'y entremêlent sa fibre libertaire et cette aversion irraisonnée qui vient souvent aux syndicalistes envers les politiques de gauche, quand ils seraient mieux avertis de réserver leurs coups à leurs adversaires patronaux. Bové n'a pas voté au premier tour de la présidentielle et ne s'en repent en rien. Il est basiste et spontanéiste. Ce qui lui vaut quelque procès en irresponsabilité...

Sur les questions de société, il ne se défausse pas même s'il aborde des continents moins balisés. Il a signé le manifeste contre le clonage, refus de la marchandisation du vivant oblige. Mais sur la prostitution, il est plus prudent. Il trouve «l'abolitionnisme aberrant». Evoque le rapport à la liberté amoureuse des sociétés polynésiennes. Il est pour la «non-pénalisation du cannabis», mais bifurque fissa sur le sort des producteurs marocains. Lui qui a eu ses deux filles tout jeune mais s'est marié sur le tard, est pour le Pacs mais s'interroge quant à l'adoption par les homosexuels, parlant de «construction de l'altérité». Il refuse la censure des images, mais pointe la banalisation de la violence lors des JT. Et il défend le porno à la télé. «Parce que dans les prisons, c'est une énorme soupape.» Signe qu'il s'inquiète de la mise sous les verrous. Pour les autres comme pour lui.


(1) Epître à nos nouveaux maîtres (Grasset).


(2) La Longue Marche de José Bové (Seuil).


Libération, Grâce à lui, Par Luc LE VAILLANT, mercredi 29 janvier 2003, p. 36

Sources : Denis Touret

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Biographie José

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G
Ça c'est du portrait, un homme qui n'a pas peur de ses convictions, un homme qui serait certainement bien auprès de notre combat de la Méga Décharge de sita à Fabrègues, au pied d'un massif protéger et dans une plaine agricole. Continue, soit brave et si tu as le temps, passe nous voir…
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