La nouvelle vie de José Bové
Un excellent article paru sur Le Point cette semaine...
La nouvelle vie de José Bové
par Violaine de Montclos
Comment vit un écolo altermondialiste candidat à l'élection présidentielle ? Visite guidée chez José Bové et madame.
On l'aperçoit de loin : elle surplombe le hameau de Montredon et domine tout le plateau du Larzac. Une maison de chef de village, une véritable tour de guet émergeant des chênes décharnés. En contrebas, à quelques centaines de mètres à peine, la végétation s'arrête net et cède la place à une immense étendue désolée. Le fameux terrain militaire. Celui dont les agités écologistes du Larzac, Bové en tête, empêchèrent l'extension dans les années 70. Si leur combat avait échoué, il y aurait aujourd'hui une cible de tir en lieu et place du hameau. Mais Montredon est toujours debout. Et à son sommet se dresse depuis quelques mois, flambant neuve, la maison 100 % écologique de José Bové. Mieux qu'un symbole. Un triomphe.
Il ouvre la porte campé bien droit dans de vieilles pantoufles à carreaux, la pipe aux lèvres. Derrière lui, une petite femme aux cheveux grisonnants : Ghislaine Ricez, sa compagne. Des amis prennent congé, un voisin frappe à la vitre pour venir dire au revoir, tout le monde se bouscule dans l'entrée. C'est drôle, dans ce hameau qui paraît mort, sur ce plateau quasi désertique où en une heure de route on n'a pas croisé âme qui vive, tous les habitants du périmètre semblent avoir décidé de jouer des coudes chez M. Bové. « Allez, à mercredi, au tribunal ! » lance-t-il à son voisin. « Un faucheur multirécidiviste », explique-t-il le sourire en coin. Tout y est. La pipe, les moustaches et le copain faucheur d'OGM. Une véritable carte postale. Et ça a l'air de le faire doucement rigoler, Bové, de coller si parfaitement à son propre mythe. Derrière la vitre de l'entrée, il y a un nain de jardin à son effigie. Un Bové miniature, ventre énorme et yeux furibonds, l'air de crier dans le vide son credo antilibéral. « Il faut bien rire », s'excuse le modèle original.
Première vraie conversation avec le leader altermondialiste au-dessus de la cuvette des toilettes, qui requièrent quelques explications. Ici, pas de chasse d'eau mais de la sciure de bois, que l'on jette dans le réceptacle après chaque utilisation. « Je le vide une fois par semaine, pour faire du compost. Dans les pays scandinaves, tout le monde a des toilettes sèches. En France, 60 % de la consommation d'eau des ménages part avec la chasse des WC. C'est absurde. » Nous voilà dans le vif du sujet. Le voisin qui était sur le départ est encore là, dehors, observant les panneaux solaires qui viennent d'être posés et réduiront de 50 % la facture d'électricité. Comme beaucoup d'autres habitants du hameau, il a aidé José Bové à monter lui-même sa maison en kit. « Cela permet de gagner sur le coût du chantier. Et au fond, construire sa maison avec l'aide des voisins, c'est une tradition en milieu rural », affirme le syndicaliste.
Elle est belle, cette maison. Mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle tranche, justement, avec la « tradition ». La teinte claire des panneaux d'épicéa, les larges vitres qui renvoient la lumière, les courbes douces du toit n'ont rien de commun avec les petites maisons de pierre sombre, aux ouvertures étroites, qui se serrent quelques mètres plus bas. D'ailleurs, l'architecte de la DDE, en découvrant les plans, a commencé par supprimer ces courbes si peu traditionnelles. Avant de rendre les armes face à Patrick Ballester, auteur du projet et fondateur du cabinet Nature et Habitat. Il faut dire que l'homme en impose. Il est là à contempler son oeuvre, debout dans le froid au côté de son ami José. Une armoire à glace, l'oeil calme et la boule à zéro. Architecte, mais aussi moine bouddhiste, écologiste de la plus pure espèce, végétarien et spécialiste du vaudou. C'est Ghislaine qui a mis la main sur le personnage, en visitant l'un de ses chantiers.
Avant de dessiner les plans, Patrick est venu « sentir » le terrain, mesurer son magnétisme et ses courants telluriques, vérifier qu'il serait bénéfique aux futurs propriétaires, dont il avait au préalable réalisé un profil astrologique poussé. Les courbes si caractéristiques du toit se sont ensuite littéralement imposées à lui. Il désigne, comme illuminé, la ligne de crête des montagnes. « Ce sont les mêmes courbes, je ne m'en suis rendu compte qu'une fois la maison montée », jure-t-il. Il aime la flèche faîtière kanak que Bové a choisie : « Un lien entre le sol et les esprits. » Il dit que nos constructions occidentales nous privent des forces telluriques de la nature. Et que les Romains, jadis, faisaient paître un troupeau de brebis et leur ouvraient le foie, pour voir s'il était sain, avant de choisir un terrain. Un ange passe. José Bové toussote et recadre un peu le propos. « Ça a l'air d'être du syncrétisme, mais il y a des points communs entre toutes ces cultures, en tout cas des repères que nous avons oubliés. »
Nous voilà tous les trois en équilibre sur un talus glissant, face au vide, admirant le paysage. « Gaffe, on a déjà perdu pas mal de journalistes », pouffe Bové. Le coup du vertige aux journalistes parisiens mal chaussés : de bonne guerre. Il faut dire que du monde a déjà défilé ici, depuis l'été. « Au moins 10 millions de personnes ont déjà vu la maison », se satisfait l'architecte. Lui qui depuis vingt ans tirait le diable par la queue voit enfin les clients venir. Tout de même, drôle d'idée d'ouvrir son chez-soi aux médias. Bové ouvre des yeux ronds. « C'est un coup de pouce à Patrick, dont j'admire le travail. Et puis montrer aux gens que l'on peut se loger écologique, c'est cohérent avec mon combat. » Une déflagration fait trembler l'air. Les militaires, tout près, rappellent à point nommé cette cohérence. La lutte idéologique du leader syndical a commencé ici, dans ce hameau où il est installé depuis 1976. Cette maison de bois écologique, qu'il achevait de construire tandis que ses collègues antilibéraux se pressaient dans les universités d'été, cette maison qu'il expose, c'est au fond un peu sa manière à lui de faire de la politique. La fameuse pédagogie militante, poussée cette fois à son paroxysme.
« C'était surtout une préoccupation personnelle , dit-il. Je suis à sept ans de la retraite, et elle ne va pas être lourde. Il fallait songer à avoir un endroit à nous. » Ghislaine a l'air de s'inquiéter pour son gratin, on rentre déjeuner. A l'intérieur, le poêle à granulés de bois diffuse une bonne chaleur. Eau de coing en apéritif, gratin et tome de brebis produite par Bové lui-même - la bergerie, qu'il gère avec un jeune couple d'associés, est à quelques mètres au-dessous du village. De la table où l'on déjeune, disposée face aux larges vitres de la pièce à vivre, la vue sur le causse est à couper le souffle. Jusqu'en Lozère, là-bas au fond, l'oeil ne rencontre aucun obstacle. Le sentiment de solitude est saisissant. Dissipé, tout de même, par un téléphone qui sonne presque en continu. José et Ghislaine râlent, se lèvent de table pour répondre à tour de rôle puis reviennent déjeuner et contempler cette vue dont ils ne se lassent pas. « Les jours de grand vent, ils n'arrivent pas à se poser », murmure Ghislaine, songeuse. Les hélicoptères de la gendarmerie ? « Les vautours. » Un rapace plane interminablement, c'est vrai, juste devant nous.
« Ce qui est formidable, avec les vitres que Patrick a installées à l'ouest, c'est que notre chambre rougeoie au couchant. C'est magnifique, s'enthousiasme encore la maîtresse de maison. Et l'autre nuit, on voyait la lune encadrée juste dans le hublot, hein José ? » Ils sont marrants, ces deux-là. Ils se mangent du regard et parlent de leur nouveau nid presque en battant des mains. De vrais gosses. Dans la maison qu'ils occupaient jusqu'à maintenant, un peu plus bas dans le village, les pièces étaient si sombres qu'ils vivaient même le jour à la lumière électrique. « Ici, je me sens mieux », soupire Ghislaine. Bové passe sa petite main calleuse sur les murs recouverts de chaux, de caséine et de pigments naturels. Aucun produit toxique. « C'est beau, non ? » Il ouvre la porte du cellier, puis celle du petit dressing. S'extasie devant la douche king size. Caresse les murs en épicéa recouverts de lazure. Le tout n'est pas immense - 110 mètres carrés, mezzanine comprise - « mais, dans le bois, on respire mieux que dans la pierre », et c'est vrai qu'on se sent au large. Son bureau est sur la mezzanine, « parce qu'on réfléchit mieux en hauteur », entouré de vitres sur 360 degrés, comme suspendu dans les arbres. Des souvenirs de ses voyages sont disposés un peu partout. Casse-tête kanak, statuettes du Venezuela, colliers africains témoignant de ses agitations altermondialistes : un genre de bric-à-brac idéologique sauvé de ce monde libéral qu'il exècre et entreposé là, dans cette maison de bois qui ressemble au fond à une arche de Noé. Sur sa table de travail, orientée vers le hameau, un livre est ouvert sur la tranche : « Comment les riches détruisent la planète » (Seuil)
Le financement
120 000 euros : le prix de la maison
1 200 euros par mois : ce que José Bové dit gagner grâce à son exploitation agricole
90 000 euros : emprunt à la banque, qui vient compléter l'apport que Bové a obtenu en cédant son ancienne maison
Sources Le Point
Posté par Adriana Evangelizt