La bibliothèque de José Bové
La bibliothèque de José Bové.
par Michel Onfray
Ce matin, José Bové à France Culture dans l’émission d’Emmanuel Laurentin « La fabrique de l’histoire ». Principe intéressant : on questionne les candidats aux présidentielles sur leur imaginaire historique. Puisque « Télérama » interroge les candidats sur la culture, mais pourvu qu’ils soient au-dessus de 15 % des intentions de vote, sauf le PCF et les Ecologistes qui bénéficient d’une fleur de gauche plurielle, on ignore ce que pensent Arlette Laguiller, Olivier Besancenot ou José Bové sur ce sujet. Avec José Bové, on est loin de Doc Gynéco ou de Pierre Arditi…
Pour une fois, on évite de réduire José Bové au candidat anti OGM, au faucheur de champs transgéniques, au démonteur de Mac Do, on ne lui reproche pas, comme avec ce panel de TF1 fabriqué avec ses auditeurs emblématiques, (Karim, vingt et un an, sans emploi, Argenteuil ; Josette, cinquante deux ans, au chômage, Limoges ; ou Raymond, trente huit ans, routier, Dunkerque, devenus l’espace d’une heure des Alain Duhamel aux petits pieds ) de se présenter aux présidentielles malgré une condamnation ou de faire le jeu d’Hitler parce qu’il aurait rencontré Arafat…
Pour une fois, on entend le candidat antilibéral, alter mondialiste, celui qui n’était pas trotskyste ou maoïste en Mai 68 avant de devenir publicitaire, directeur de journal ou conseiller technique pour droitiser encore un peu le PS, mais qui était libertaire, pacifiste, antimilitariste – et l’est resté… Alors que les défenseurs soixante-huitards de Mao, Staline, Trotski ignoraient jusqu’au mot « écologiste », lui l’était ; les ralliés le sont devenus, du moins le croient-ils en défendant l’écologie mondaine du pot catalytique, lui l’est resté en pensant l’écologie non pas pour ceux qui roulent en vélo dans les grandes villes, ou peuvent prendre les transports en commun, mais pour les ruraux , les gens qui vivent en campagne , sans train , sans métro, sans bus, sans pistes cyclables, et doivent portant se déplacer sur de petites, longues ou moyennes distances.
Que trouve-t-on dans la bibliothèque de José Bové ? Des ouvrages qui ne lui servent pas à tapisser le mur de son salon ou à répondre au questionnaire de « Télérama », mais des livres générateurs d’action politique – et de méditation existentielle. Le libertaire cite l’ouvrage de Kropotkine sur la Révolution française, celui de Voline sur la révolution bolchevique, il parle de Nestor Makhno et de son double combat contre l’armée blanche de Denikine et l’armée rouge de Trotski, il parle du géographe anarchiste Elisée Reclus, de Bakounine, réticent au gouvernement des avant-gardes éclairées, mais confiant dans le génie colérique du peuple.
Le pacifiste célèbre Henri David Thoreau, auteur d’un magnifique petit ouvrage intitulé De la désobéissance civile et qui produira des effets sur Gandhi et Martin Luther King, tous deux cités en référence. Thoreau, philosophe américain, lui aussi libertaire et écologiste, a fait de la prison pour avoir refusé de payer ses impôts, c’est dans le même esprit que José Bové a effectué sa peine : pour ses idées justes mais illégales, comme étaient justes et illégales la défense des Juifs dans la France de Vichy ou l’appel gaulliste à la Résistance.
Dans son combat pour la paix, contre toute guerre, José Bové qui, dit-il à l’antenne, diminuerait par deux les crédits de l’armée pour les réaffecter à d’autres postes, notamment le logement, la lutte contre la misère, cite les Ecrits pacifistes de Jean Giono et parle de ses rencontres avec Lanza Del Vasto. A Emmanuel Laurentin qui lui demande quel homme il conduirait au Panthéon s’il était élu président de la République, José Bové marque un temps d’arrêt, réfléchit, laisse un long silence, puis répond : si la famille en était d’accord, Louis Lecoin… Magnifique !
Louis Lecoin (1888-1958), fils de parents pauvrissimes et illettrés, exerça tous les métiers manuels et fut un temps mendiant. Refusant de mater une grève de cheminots alors qu’il était sous les drapeaux, il fait six mois de prison. Défenseurs des combats libertaires de Durutti et Sacco & Vanzetti, il doit lutter contre le service d’ordre de la CGT tout autant que contre les ligues factieuses d’anciens combattants. Dès la déclaration de guerre, il rédige un tract qui appelle à la paix immédiate : on l’emprisonne jusqu’en 1943. Avec Albert Camus, il travaille au statut d’objecteur de conscience, se met en grève de la faim alors qu’il a 74 ans, on l’hospitalise, le nourrit de force. Le statut fut voté, les objecteurs libérés. En 1964, on prononce son nom pour le Prix Nobel de la Paix, il refuse d’apparaître sur les listes pour laisser plus de chances à Martin Luther King… Pour tous ses combats, il a passé douze ans en prison…
A la question de son interviewer qui lui demande quelle est sa Révolution française, José Bové répond : celle des droits de l’homme, notamment pour son article deux qui stipule le droit de résistance à l’oppression, puis le principe des cahiers de doléances, pour la façon pacifique et horizontale de rédiger une plateforme politique. Lecture libertaire, donc, pour faire pièce à la lecture libérale qui triomphe en France depuis les réhabilitations tocquevilliennes de François Furet et des siens.
Enfin, José Bové cite Jacques Ellul. (Récemment, Raoul Vaneigem me disait qu’avec Guy Debord, ils l’avaient rencontré et qu’après une longue conversation, les deux situationnistes avaient été emballés par son propos. A la fin de leur échange, Ellul a précisé qu’il devait tout de même leur signaler une chose, c’est qu’il croyait en Dieu… Dépités Debord & Vaneigem n’ont pu que surseoir à l’adoubement situationniste ! Mais tout de même…). Ellul est un penseur libertaire, chrétien, pacifiste, écologiste et alter mondialiste avant l’heure, il effectue une critique de la technique à gauche là où Heidegger effectuait le même travail à droite. A lire…
Et puis le Larzac et les Luddites anglais, le combat des Kanaks, celui de la Boston Tea Party : José Bové raconte son histoire, ses sources, celles qui le conduisent aujourd’hui sur le carreau d’Argenteuil, là où Nicolas Sarkozy avait produit son effet « racaille », entouré par des enfants et des adolescents enthousiastes qui veulent lui faire visiter le quartier alors que, dehors, les commerçants ont dressé une table de fortune pour offrir deux ou trois choses à manger. Ce sont les mêmes sources qui le mènent aussi au Mali, en compagnon d’un projet français de développement co-partagé avec les pays ravagés par la brutalité occidentale.
Ce candidat libertaire aux présidentielles me va, même si les libertaires qui gardent le dogme en vestales persistent dans la vénération des textes sacrés, dont le fameux « élections piège à cons », je persiste à croire avec eux- qui ont toujours mon affection- que toute la politique n’est pas dans une consultation électorale, bien sûr, mais que, à rebours de ces options, il n’est pas mauvais que les idées libertaires auxquelles on croit avancent aussi un peu à cette occasion. Makhno, Kropotkine, Bakounine, Voline, ça nous change de Glucskmann, Bruckner ou Max Gallo.
Sources Blog de Michel Onfray
Posté par Adriana Evangelizt