Gauche de la gauche, pour une campagne commune
Un très bel article qui prône une campagne commune des trois candidats se démarquant des deux partis de l'élite. L'UMP de toute façon est assimilable au Parti Républicain américain et les Socialistes au camp démocrate. Mais c'est toujours l'élite et non le Peuple qui est représenté.
Gauche de la gauche, pour une campagne commune
par Jacques Bidet
Professeur émérite à l'Université Paris-X-Nanterre
Trois candidats pour un seul programme : quelle incroyable chance ! L'un s'est engagé à ne pas gouverner avec les socialistes. Mais l'autre, forte de son expérience, est bien placée pour dire qu'on ne l'y reprendra pas de sitôt. Quant au troisième, on sait qu'il retournerait plutôt en prison.
La seule chose raisonnable serait maintenant qu'ils fassent campagne commune, réunis sur les mêmes tribunes. Le public se multiplierait par dix. Les communistes apporteraient leurs finances et leur militance. Les trotskistes assureraient la connexion aux médias. Et les josébovistes, la dimension intergalactique. Les uns connaissent mieux les abords des usines, d'autres les couloirs de fac et les amphis, d'autres encore la France profonde. Une sacrée bousculade en perspective, trois candidats pour un programme... Mais sans éliminer personne. Trois places sur le podium et un seul vainqueur : l'équipe.
Une belle ruse de l'histoire. Le peuple, ayant décidé de ne pas se laisser dissoudre, amènerait ses chefs à s'entendre ! Et les gens d'appareil se sentiraient, tout soudain, un peu perdus dans la foule. Cela voudrait dire qu'il y a, face aux deux partis dominants, celui du fric et celui de "l'élite", un troisième pôle qui refuse ces deux hégémonies conniventes : une force populaire moderne, imprévisible et diverse, mais qui a pris de soi qu'elle refuse qu'on la divise au nom de clivages issus d'histoires anciennes.
Une force rassemblée sans doute par quelque chose de bien réel dans l'épaisseur de la société, mais que nous ne savons pas encore déchiffrer. Le capitalisme flexible, qui livre la population à l'incertitude du lendemain, suscite, dans les conditions actuelles de la technique et de la culture, de nouvelles capacités de résistance et de retrouvailles. Voilà bien, semble-t-il, le sens de ce mouvement à la base, qui, pour la première fois dans ce pays, rassemble des minorités actives au sein du PC, de la LCR, des Verts, voire du PS. Un lot de fratries politiques et une cohorte indéfinie d'associatifs sans appartenance. On a ordonné la dispersion. Mais ils refusent de se quitter. Ils se sont trop aimés.
Ce qui est inédit, c'est la rencontre entre la gauche de parti et la gauche de mouvement. Reconnaissance mutuelle, un peu méfiante il est vrai, entre ceux qui descendent dans la rue ou dans les urnes au coup par coup, et les militants fidèles, organisés. Il y a au sein du peuple de gauche quelque chose qui résiste au populisme et à la politique spectacle. Le vrai débat passe désormais ailleurs loin des éclairs cathodiques, par les heures acharnées de connexion à Internet, par les collectifs politiques au hasard des lieux. Et l'on a vu récemment que des foules inattendues pouvaient se défouler sur des mots d'ordre mûrement réfléchis, comme autour du contrat de travail.
Nous commençons lentement, avançant comme à reculons, à découvrir que nous faisons partie d'un grand parti avec un petit p, dont personne ne pourra nous exclure. Il est vrai que celui-ci reste à construire, et que nul ne sait encore comment faire du solide dans une situation si fluctuante. Déjà pourtant cette introuvable coalition ouvre une perspective, vers une expérience historique peut-être.
Dans une conjoncture dont rien ne dit qu'elle reviendra. Que nos trois candidats fassent donc campagne commune ! Il se pourrait, bien sûr, qu'elle se termine par le retrait de deux d'entre eux en faveur du plus rassembleur, ou de la plus rassembleuse... Un beau risque à courir.
Sources : Le Monde
Posté par Adriana Evangelizt