José Bové et la mondialisation
José Bové met en boîte la mondialisation
Le 12 août 1999, lorsqu’il entreprend le démontage du MacDonald’s de Millau avec quelques dizaines d’éleveurs de brebis du Larzac, José Bové est totalement inconnu du grand public. Pourtant, en seulement quelques heures, son visage va symboliser à travers le monde la lutte contre la mondialisation. Le combat contre la malbouffe se diffuse instantanément sur l’ensemble de l’Hexagone, sinon de la planète. José Bové, qui lutte contre la rétorsion américaine à l’encontre du roquefort, trouve même le soutien de paysans aux Etats-Unis qui collectent des fonds pour payer sa caution et le faire sortir de prison.
En novembre 1999, José Bové est à Seattle. Le contre-sommet des opposants à la mondialisation mobilise des dizaines de milliers de manifestants venus des quatre coins du globe pour dénoncer les effets de la course aux profits sur la nourriture, la santé, l’environnement, etc. La réunion de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), où devait être décidée une part de l’avenir de l’humanité sans que les populations ne soient consultées, est largement empêchée et débouche sur un échec pour les représentants du capital.
José Bové et Seattle ont ouvert une brèche. Du Nord au Sud, à l’Ouest comme à l’Est, les populations demandent des comptes et veulent contrôler ceux qui prétendent les représenter. Jamais la perspective d’un combat international mettant directement en cause le capitalisme n’a été aussi proche. Mais si José Bové symbolise la radicalité qui s’exprime contre la globalisation chez des milliers sinon des millions d’hommes et de femmes, il symbolise également le réformisme qui imprègne largement le combat des “antimondialistes”.
Les deux livres d’entretiens avec José Bové parus récemment soulignent le fossé entre cette contestation de l’ordre dominant et la timidité des solutions avancées. Car si Bové dresse le constat lucide que le capitalisme pousse à la marchandisation de tout, s’il démontre avec raison que l’origine de la malbouffe est la soif de profits, il enferme ses propositions dans le cadre du système capitaliste.
Pour José Bové, “La question centrale est de savoir comment créer le débat sur la démocratie et la transparence entre les Etats, l’appareil institutionnel, le mouvement citoyen, ceci afin de promouvoir des règles plus équitables, pas seulement sur le commerce mais aussi sur l’environnement, le droit du travail et les droits humains.” Selon lui, il suffirait de “réguler” le marché, de “démocratiser” les institutions internationales pour améliorer le sort des paysans et des travailleurs du monde entier.
Bové cherche constamment à limiter les effets du capitalisme mondial mais ne s’attaque jamais à la cause des problèmes. Il dénonce la course aux profits mais entend seulement la ralentir. “Le marché existe, il n’est pas question de le nier, répète-t-il. Mais face au marché, il faut des règles.” La solution s’impose alors d’elle-même : “Il faut véritablement un contre-pouvoir et des règles autonomes auxquelles se plierait obligatoirement le marché.” Logiquement toute sa réflexion s’articule autour des instances internationales et nationales à même de s’opposer efficacement au marché.
Ne comprenant nullement que l’Etat et les institutions comme l’OMC, le FMI ou la Banque mondiale sont des instruments au service d’une classe sociale, José Bové propose de les utiliser à d’autres fins que celles pour lesquelles elles ont été conçues. Comment ?
Bové n’ébauche pas la moindre réponse… Le problème avec lui comme avec de nombreux militants antimondialisation est précisément qu’ils écartent constamment les questions fondamentales : qui possède ? qui décide ? quel intérêt défend l’Etat ? comment assurer que les choix des populations soient satisfaits ? quel contre-pouvoir serait capable de dompter le marché ?
En manifestant, on peut momentanément paralyser une réunion internationale comme celle de Seattle, ce n’est pas pour autant que l’on empêche le capitalisme de fonctionner. En mobilisant l’opinion publique, on peut peut-être limiter les effets les plus écœurants de la course aux profits comme l’utilisation de boue d’épuration ou de farines animales contaminées dans l’alimentation du bétail. Mais cela n’interdit nullement à la bourgeoisie de continuer à produire d’autres marchandises dans des conditions aussi folles.
Pour contraindre la bourgeoisie à aller au-delà de concessions mineures, il faut un autre rapport de force ; pour lutter efficacement contre la logique du fric, il faut contester l’emprise du capitalisme partout où il est. Et comme José Bové le reconnaît, tout est marchandise, y compris les individus… C’est donc l’ensemble de la société qu’il faut transformer, c’est l’intégralité du système capitaliste qu’il faut abattre.
Et nous pouvons être certains que les capitalistes ne vont pas nous laisser satisfaire notre soif de liberté et de démocratie sans réagir violemment ; ils utiliseront non seulement les forces de l’ordre comme lors de la manifestation de Washington mais aussi l’ensemble des forces de répression d’Etat à leur disposition.
José Bové se réclame des mouvements non-violents et pacifistes. Mais face aux rouleaux compresseurs de l’Etat bourgeois, prôner le pacifisme, c’est se désarmer, c’est refuser de lutter jusqu’au bout pour débarrasser une fois pour toute l’humanité de toute forme d’oppression et d’exploitation.
Pour préparer les victoires de demain, la tâche est plutôt de construire une arme pour abattre définitivement le capitalisme, de s’organiser dans une nouvelle Internationale, un parti de la révolution mondiale. Mais de cela il n’est jamais question… Significativement, José Bové écarte même l’idée du combat politique : “s’inscrire dans le débat politique, pour être acteur de transformations ou de prises de conscience, est un mauvais calcul” lâche-t-il.
Paradoxalement, l’homme qui apparaît comme le tribun de la lutte mondiale contre la globalisation défend en réalité “une action locale dans une analyse globale”, limitant son activité à la multiplication d’“expérimentations” autogestionnaires qui auraient une fonction pédagogique et valeur d’exemple. Et l’histoire militante de José Bové, comme celle des fondateurs de la Confédération paysanne tel que François Dufour, relatée dans les deux livres d’entretiens, résume parfaitement cette philosophie.
L’engagement de José Bové dans la lutte contre l’armée et l’Etat français dans le Larzac au cours des années 70 témoigne de ce souci constant de combats ancrés dans le “terroir”, partant des “problèmes quotidiens” et privilégiant des solutions immédiates s’accommodant du capitalisme. L’histoire du Larzac a d’ailleurs une valeur pédagogique… mais inverse à celle imaginée par Bové et ses amis.
La lutte des paysans du Larzac pour obtenir les terres occupées par l’armée et promouvoir une agriculture parallèle a été à bien des égards exemplaire, notamment dans le lien qu’elle a su entretenir avec le peuple kanak qui, en Nouvelle-Calédonie, se battait contre l’impérialisme français et revendiquait sa terre. Mais la mobilisation du Larzac a surtout démontré que le capitalisme peut tout à fait tolérer une agriculture non productiviste, sinon l’assimiler.
Malgré leurs “expérimentations” alternatives, les paysans du Larzac n’ont nullement empêché les ravages de l’agriculture productiviste ou de l’élevage industriel.
Ni le repliement sur soi, ni l’entretien de particularismes locaux ou nationaux ne viendront à bout du capitalisme ; ils favorisent l’émiettement des forces alors que l’heure est à la coordination des actions contre le système à l’origine de l’exploitation et de l’aliénation sous toutes ses formes. Pire, les valeurs que José Bové défend sur la “souveraineté des Etats”, la “protection à l’importation” ou les “barrières douanières” laissent la porte ouverte à des positions réactionnaires et donnent des arguments au combat de forces antiouvrières comme le RPF de Pasqua et de Villier, le FN de Le Pen et le MNR de Mégret.
Lutter efficacement contre la mondialisation, ce n’est pas se retrancher derrière les frontières sous prétexte que la déferlante libérale les remettraient en cause. Les frontières sont des murs qui entretiennent les haines entre les peuples et justifient les guerres ; personne n’a à gagner à leur maintien sinon des bourgeoisies nationales que la mondialisation de l’économie affaiblirait.
En revanche, l’écrasante majorité des populations a tout intérêt à vivre dans une situation qui garantit le niveau de vie de chacun et le partage des richesses entre tous. C’est pourquoi la lutte contre la mondialisation doit être unifiée à l’échelle planétaire autour de revendications visant à la destruction révolutionnaire de tous les Etats nationaux et de toutes les institutions capitalistes du globe et à la construction d’un monde socialiste.
La faiblesse fondamentale qui traverse les deux livres d’entretiens de José Bové est l’absence d’analyse de classe. Il n’est jamais question d’exploiteur et d’exploité. L’Etat ne défend pas une classe dominante dont les intérêts s’opposent à la majorité de l’humanité. José Bové rejette sans discussion le marxisme. Il se prive des moyens de comprendre le monde et de le changer. La classe ouvrière n’est même pas mentionnée en plus de 300 pages d’entretiens !
José Bové se définit comme un “pessimiste actif”. C’est en réalité un activiste réformiste. Il est même le symbole du renouveau d’un réformisme radical dans ses modes d’expression mais tout aussi incapable de résoudre les problèmes que la social-démocratie ou le stalinisme. Le rôle des révolutionnaires n’est ni de s’adapter ni de rejeter le courant antimondialisation. Leur tâche est de faire fructifier le potentiel qu’expriment les milliers de jeunes et de travailleurs qui se mobilisent contre le capitalisme mondialisé en dessinant le plus court chemin vers la victoire : la révolution mondiale !
José Bové et François Dufour, Le monde n’est pas une marchandise. Des paysans contre la malbouffe. Entretiens avec Gilles Lumeau, Paris, La Découverte, 2000, 238 p.
José Bové. La révolte d’un paysan, Éditions Golias, 2000, 95 p.
Sources : Pouvoir ouvrier
Posté par Adriana Evangelizt