L'Europe libérale n'a rien à envier aux Etats-Unis

Publié le par Adriana EVANGELIZT

José Bové : « L’Europe néolibérale n’a rien à envier aux États-Unis »

OMC. Réunion discrète de ministres à Paris aujourd’hui, libéralisation des services... et constitution européenne. Un entretien avec José Bové, porte-parole de l’internationale paysanne Via Campesina.

Entretien réalisé par Alain Raynal

Comment analysez-vous les raisons qui poussent l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à organiser des réunions discrètes telles que celle qui se déroule ce matin à l’ambassade d’Australie, à Paris ?

José Bové. Cette « mini-conférence ministérielle » devrait réunir vingt-cinq à trente pays pour débattre à la fois des questions agricoles et de celles concernant les services. Elle s’inscrit dans une nouvelle stratégie de l’OMC mise en oeuvre après l’échec de Cancún. Plutôt qu’arriver pour un débat général le jour du sommet qui se tient tous les deux ans - le prochain aura lieu à Hong Kong en décembre prochain -, les pays les plus riches et les grandes puissances comme les États-Unis et l’Union européenne préfèrent préparer leur accord en amont dans la discrétion. Accord qui n’aurait plus ensuite qu’à être avalisé par l’ensemble des pays. Nous sommes face à un coup de force et dans le cadre d’un système encore plus antidémocratique que celui que nous connaissions. Maintenant, ils tentent de rechercher par petits groupes de pays des accords où chacun y trouve son intérêt après distribution des cartes, avant d’arriver ensemble avec une sorte de paquet cadeau qui leur permet d’enfermer ceux qui n’ont pas participé aux réunions. Ils espèrent ainsi passer en douce en organisant des réunions sectorielles avec quelques pays sur des thèmes précis. Vont, par exemple, être réunis ensemble l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Viendront éventuellement s’ajouter le Brésil, pourquoi pas la Chine, les États-Unis et l’Union européenne... Après cinq ou six mini-ministérielles de ce type, ils pourront ensuite imposer leur choix aux autres.

Quelle place tient l’UE dans cette stratégie ?

José Bové. Le commissaire au Commerce extérieur est le seul habilité à négocier pour le compte des Vingt-Cinq, ces derniers ne débattant même pas du contenu des négociations. Un blanc-seing est ainsi donné à ce commissaire européen pour mener les discussions. En réalité, son mandat est très clair au niveau de l’Union européenne. Sur la question agricole, cette dernière a décidé de laisser tomber : on s’ouvre, on s’aligne sur les prix mondiaux et on laisse entrer les produits. Pour l’Union européenne, l’intérêt passe par la libéralisation des services. Déjà 167 secteurs de services différents avaient été mis sur la table à Cancún. Pascal Lamy, alors commissaire au Commerce extérieur, avait envoyé un courrier aux grandes entreprises européennes présentes dans ces différents domaines en leur demandant quelles étaient leur offre et leur demande pays par pays. Pour chaque pays, elles ont notifié ces demandes, qui ont ensuite servi à l’Union européenne pour débattre à Cancùn. Par exemple : pour tel pays, telle entreprise souhaite l’accès au système informatique, y compris ceux des services de l’État. Autre demande : pouvoir investir dans un pays sans être obligé d’y laisser l’argent pendant cinq ans, ou sans être contraint d’employer des salariés du pays...

Pour revenir au débat sur la constitution , les tenants du « oui » ressassent que l’UE pourrait par ce traité résister plus fortement face aux États-Unis. Que leur répondez-vous ?

José Bové. Contrairement au discours dominant, l’Europe est l’un des principaux moteurs de la libéralisation des échanges au niveau de la planète. Elle n’a rien à envier aux États-Unis. Je dirais même qu’elle est en avance sur les États-Unis, souvent plus protectionnistes. L’Union européenne veut pousser ce débat sur la libéralisation, sur l’ouverture des frontières, pour gagner la bagarre sur le commerce des services. Aujourd’hui, c’est l’Union européenne qui est en pointe : elle possède le plus de sociétés transnationales qui peuvent gagner des parts de marché sur la planète. Au niveau mondial, 82 % de ces transnationales ont leur siège social en Europe et aux États-Unis. Dans ce système de partage des marchés planétaires, les institutions politiques doivent à leurs yeux servir uniquement le développement de ces logiques de marché. Le politique est abandonné au profit unique d’intérêts privés. La construction européenne telle qu’ils veulent l’imposer renforce cette logique, puisqu’ils n’auraient plus de comptes à rendre vis-à-vis des citoyens et des parlements. Depuis le début de l’OMC, il n’y a jamais eu de débat. Ni en 1994 pour signer les accords de Marrakech, ni avant Seattle, ni dans la préparation de Cancún. À aucun moment, ces enjeux fondamentaux qui restructurent la planète ne donnent lieu à un débat où les citoyens et les parlementaires pourraient s’exprimer. Voilà, à mon avis, ce qui explique qu’aujourd’hui, dans le débat sur le traité constitutionnel, reviennent au premier plan les questions qui portent sur cet ordre économique-là, sur ce type de société-là. C’est à travers cet enjeu que se structure le clivage entre le « oui » et le « non ». Entre des gens qui acceptent d’être dominés par cette logique et ceux qui disent non et qui affirment dans le même temps : nous voulons nous réapproprier le débat, nous voulons recréer à partir d’acquis démocratiques des modes de développement où le politique décide en lieu et place de structures économiques n’ayant aucun compte à rendre.

L’ex-commissaire au Commerce extérieur de l’UE, Pascal Lamy, pourrait bien devenir le prochain directeur général de l’OMC. Un symbole ?

José Bové. À mon avis, sa candidature n’a rien d’une démarche individuelle. Pascal Lamy bénéficie de l’accord des vingt-cinq gouvernements et de la Commission européenne pour se présenter. D’une certaine manière, cela paraît cohérent, car il a été celui qui a le plus développé la logique de l’OMC. Il est, en quelque sorte, le symbole de l’ouverture des marchés, y compris sur les services, sur le démantèlement de l’agriculture au niveau de la planète. L’OMC tente une nouvelle tactique pour briser les mobilisations populaires. Nous devons donc renforcer cette mobilisation. À quelques mois du prochain sommet de Hong Kong, nous allons essayer, comme à Seattle ou à Cancún, de pousser les contradictions jusqu’au bout pour empêcher un accord. Et, d’ici là, rassembler le plus largement possible autour du « non » à la constitution néolibérale européenne.

Sources : L'HUMANITE

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans OMC

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