Fin de campagne

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Fin de campagne

par François Koch

La star des médias va tirer sa révérence le 7 avril. Après la gloire et des fourvoiements. En 1999, José Bové devient le martyr planétaire de la lutte anti-malbouffe, grâce au démontage du McDo de Millau. En détruisant des plants de maïs transgénique, le paysan goûte aussi à la prison et provoque un débat public sur les OGM, mais il apparaît comme un obscurantiste. 2002, année noire: l'ancien révolutionnaire anarchiste joue le bouclier humain pour Yasser Arafat en Palestine et fait des déclarations blessantes pour la communauté juive. En 2003, il profite du succès du rassemblement du Larzac pour annoncer son retrait de la scène française. Avec l'espoir de conserver son rôle d'agitateur international. Décryptage d'une idole en fin de cycle.


«Coke quit India!» hurle José Bové, le poing levé vers le ciel. Ah, qu'il a l'air heureux en meneur de jacquerie! Et tellement ravi de défier le géant américain Coca-Cola devant les grilles de sa gigantesque usine de Plachimada, dans le sud de l'Inde, et une nuée de caméras de télévision et d'appareils photo. Le 22 janvier dernier, à l'invitation de la charismatique Vandana Shiva, surnommée «la José Bové indienne» en raison de son combat contre les OGM, l'icône altermondialiste apporte un soutien chaleureux à des femmes participant à un sit-in qui dure depuis six cent quarante jours devant l'entrée de l'entreprise américaine. Les producteurs de la célèbre boisson pétillante sont accusés d'assécher ou de polluer les nappes phréatiques au préjudice de milliers de familles. «Je suis venu ici pour donner une audience internationale à votre combat», se réjouit le moustachu médiatique devant quelques centaines de paysans indiens. Un mois plus tard, le 26 février, il investit le ministère de l'Agriculture, à Paris, avec ses troupes de la Confédération paysanne, en guerre contre les insecticides nocifs pour les abeilles.

C'est ainsi depuis plus de quatre années, depuis ce mois d'août 1999 au cours duquel José Bové accède au statut enviable de vedette mondiale: dans le plus petit village d'Amérique latine, d'Asie, d'Afrique ou d'Europe, on connaît l'histoire de ce syndicaliste paysan français emprisonné pour avoir défié McDonald's à Millau (Aveyron). C'est pourquoi l'Astérix anti-malbouffe, toujours accompagné de grands médias audiovisuels, est invité sur tous les continents par des paysans en lutte contre des firmes multinationales agroalimentaires, les OGM ou l'OMC (Organisation mondiale du commerce).

Patatras! L'état de grâce n'aura duré que deux ans et demi, jusqu'au mois de mars 2002 et à son voyage en Palestine si controversé. Depuis, ses détracteurs le combattent sans relâche, lui attribuant, notamment, des arrière-pensées politiques et l'accusant d'obscurantisme. Le Zorro des Grands Causses ne se rétablit qu'en août 2003, lorsque, à peine sorti de prison, il réussit à rassembler 200 000 personnes sur le plateau du Larzac et annonce, à la surprise quasi générale, qu'il tirera sa révérence en avril 2004. Retour sur la naissance et les déboires d'une icône.

Le 12 août 1999, José Bové est né une seconde fois. A Millau, il participe au démontage d'un restaurant McDonald's en construction. Son syndicat, la Confédération paysanne, dite «la Conf'», entend protester contre les Etats-Unis, qui viennent d'imposer une surtaxe douanière de 100% sur des produits français comme le roquefort, en raison du refus européen d'importer de la viande aux hormones. Quatre militants sont arrêtés et José Bové est activement recherché. Refusant d'être interpellé, le militant du Larzac se cache dans le presbytère d'un ami curé. Il organise médiatiquement sa reddition. Au tribunal de Montpellier (Hérault), José Bové lève ses bras menottés devant les objectifs: «J'ai compris l'importance que cela pourrait avoir pour la suite, dehors. Ce n'est pas une photo prise au hasard, on pourrait presque dire que c'est une photo posée, voulue (1).» Mais il ne savait pas que cette image allait faire le tour du monde et le transformer en martyr du combat mondial contre la malbouffe.

«Le succès du démontage du McDo était totalement imprévu, confie José Bové. Nous avons bénéficié d'un effet boomerang dû à une répression tout à fait insensée, avec des arrestations à 6 heures du matin, un mandat d'arrêt contre moi et une demande de caution de 105 000 francs par militant pour sortir de prison.» Selon lui, si l'opinion publique lui a apporté son soutien, c'est qu'elle était ébranlée par les crises sanitaires successives: le bœuf aux hormones, la «vache folle», le poulet à la dioxine et les dégâts de l'élevage intensif sur les nappes phréatiques.
«A mon retour de Ramallah, mes propos ne pouvaient pas être compris»

Tout sourit à Bové! Quelques mois plus tard, lors de la réunion de l'OMC à Seattle, aux Etats-Unis, il se paie un franc succès en brandissant un roquefort devant un public de plusieurs milliers d'anglophones, à qui il sert un discours hostile à la mondialisation libérale dans un anglais parfait. Si bien que, l'année suivante, les Américains, interrogés par l'hebdomadaire Business Week, le classent parmi les 50 stars européennes. Sa réussite est alors consacrée par la célèbre émission de la chaîne américaine CBS, Sixty Minutes. En avril 2000, la Conf' l'élit porte-parole sans qu'il ait à faire campagne, comme si les médias avaient contraint le syndicat paysan à faire de Bové son leader. Il continue alors de plus belle sa course folle autour de la planète.

Cette incroyable ascension du Robin des bois du Larzac prend donc fin en 2002, avec son voyage en Palestine. Invité par des ONG locales à participer à la Journée de la terre du 30 mars, qui commémore chaque année le massacre de paysans palestiniens par l'armée israélienne en 1967, José Bové accompagne des médecins allant prodiguer des soins à l'intérieur du palais présidentiel du vieux leader de l'OLP. Le héros altermondialiste joue le rôle de bouclier humain pour un Yasser Arafat assiégé. De retour en France, la conférence de presse qu'il donne à sa descente d'avion fait scandale lorsqu'il évoque des «rafles», des «camps d'internement» et des «miradors», et, surtout, la responsabilité du Mossad dans les attentats antisémites en France. Il lui faudra quatre mois de réflexion, notamment pendant sa détention, pour reconnaître qu'il s'est fourvoyé: «Dès le 1er août, à ma sortie de prison, j'ai présenté mes excuses à la communauté juive. Mes propos, à mon retour de Ramallah, ne pouvaient pas être compris. Ils ont choqué, dans un contexte de souffrance, des familles juives françaises (2).» Il évoquait des attaques contre des synagogues et des écoles. «C'est une véritable erreur, qui a fait mal à la communauté juive, répétera Bové un an plus tard, et qui m'a fait mal à moi, parce que je me suis retrouvé accusé de ce qui est à mes yeux un crime absolu: l'antisémitisme (3).» Mais ses excuses et ses regrets passent inaperçus.

Au lendemain de son retour de Palestine, José Bové se rend au congrès de la Conf'. Une motion de soutien pour sa mission à Ramallah est votée à l'unanimité, moins sept abstentions. «Le fait que José ait servi de bouclier humain à Arafat a été approuvé a posteriori, mais si nous avions pu en débattre a priori, il y aurait eu des réserves», confie Bernard Moser, alors secrétaire général du syndicat paysan. Guy Le Fur, représentant de la Conf' au Conseil économique et social, va plus loin: «Avant le congrès suivant, je lui ai suggéré d'abandonner son mandat de porte-parole, mais il ne m'a pas répondu.» Aujourd'hui, Bové dit ne pas se souvenir qu'une telle demande ait pu lui être faite.

«Les journalistes pensent-ils qu'il faut se rendre en prison tête basse»

La série noire de 2002 se poursuit. Lorsqu'il lui faut purger sa peine pour le démontage du McDo, Bové choisit d'arriver en retard à la porte de la prison, à la tête d'une colonne de tracteurs, ses amis déguisés en bagnards, et accompagné d'une cohorte de journalistes de télévision. Des médias parlent de «taule parade», la comparant à la caravane du Tour de France, et jugent que Bové en fait trop, au risque de paraître désobligeant envers les autres détenus. «Ce n'est pas du tout ce qu'ils ont ressenti, puisqu'ils me disaient qu'un syndicaliste condamné pour son action n'avait rien à faire derrière les barreaux, réagit-il. Les journalistes pensent-ils qu'il faut se rendre en prison tête basse, en se cachant? J'étais condamné pour un combat syndical que j'assumais!» Pour couronner le tout, sa détention se déroule dans une relative indifférence. Le moral de l'anarcho-syndicaliste est au plus bas.

Après son séjour en Palestine, Bové est aussi de plus en plus souvent interrogé sur son avenir politique. Son soutien physique à Yasser Arafat, ajouté à sa rencontre avec le sous-commandant Marcos - le héros masqué des Indiens du Chiapas, au Mexique, chef de l'Armée zapatiste de libération nationale - et à son lien privilégié avec les leaders indépendantistes kanaks, fait en effet de l'Astérix du Larzac un syndicaliste atypique. Il a beau répondre clairement que jamais il ne se lancera en politique, la question revient sans cesse. «Ils ne veulent pas admettre que le mouvement social se situe dans une logique de contre-pouvoir, commente Bové. J'y vois l'influence d'une génération construite après Mai 68 pour qui tout passe par la prise du pouvoir, ce qui a provoqué une énorme déception après 1981, avec un mouvement syndical et associatif laminé pour avoir participé au gouvernement de gauche.» «Demandez-vous à François Chérèque ou à Bernard Thibault s'ils se présenteront à l'élection présidentielle?» s'irrite le paysan du Larzac, qui ne comprend pas que son soutien à Arafat en Palestine l'ait transporté dans un autre espace que celui des chefs de file cédétiste et cégétiste.

Bové est soupçonné de camoufler une ambition politique pour une autre raison: il serait gauchiste. Renaud Donnedieu de Vabres, porte-parole de l'UMP, ne le qualifie-t-il pas publiquement de «militant d'extrême gauche»? Sauf qu'il n'a jamais appartenu à un mouvement politique. Et, a fortiori, n'a pas appris l'art de la dissimulation chez les trotskistes, pour lesquels il a une profonde allergie, d'autant qu'il se méfie beaucoup des discours marxistes ou léninistes. Logique, puisque dans les années 1970 il fut sympathisant de l'Organisation révolutionnaire anarchiste, dont sont issus l'Organisation communiste libertaire et Alternative libertaire. Cette proximité avec les «anars» expliquerait-elle en partie ses mauvaises relations avec l'ancien trotskiste Lionel Jospin? En 1991, les militants de la Conf' ont empêché l'avion du ministre de l'Education nationale Jospin d'atterrir à Millau, parce qu'il avait décidé de ne rencontrer que les représentants de la FNSEA. «Jospin identifiait Bové à Tapie, dont il détestait le populisme, à un Blondel paysan, et il espérait qu'il ne durerait pas plus longtemps que «Tarzan», le leader des routiers», confie un député socialiste. En revanche, l'Astérix libertaire fut parmi les proches du couple Mitterrand. Dès 1974, quand le chef socialiste a manifesté sur le plateau du Larzac, et surtout 1981, lorsque le président a mis un terme au projet d'extension du camp militaire. Si l'anar moustachu avait voté Mitterrand des deux mains, il s'est bien gardé de mettre un bulletin Jospin dans l'urne en 1995 comme en 2002. Bové est resté intime avec la veuve de François Mitterrand, qu'il appelle affectueusement «Tatie Danielle»: au Forum social mondial de Bombay, le 16 janvier dernier, ils manifestaient bras dessus, bras dessous avec des intouchables.

Les communistes, quant à eux, ne cessent de cajoler Bové, bien que le PCF n'ait pas soutenu la lutte des paysans du Larzac: en 2003, leurs députés se sont relayés pour visiter le paysan libertaire dans sa cellule de la prison de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault). Il leur a rendu la politesse en étant l'invité vedette de la dernière Fête de L'Humanité. «Il se laisse courtiser par le PCF, car c'est historiquement un parti qui avait un rapport au peuple différent des autres, avec des dirigeants qui ne sortaient pas de l'ENA», analyse Denis Pingaud, son biographe (4).

«José est tenté par la politique, soutient Patrick Braouezec, député maire PCF de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Il pourrait se présenter à un scrutin de liste sans être membre d'un parti.» «Bien que ce soit un ami, il se trompe», corrige Bové. En août dernier, pour tenter de mettre fin à ces spéculations, le contempteur de la malbouffe a mis les points sur les «i» dans une interview au Journal du dimanche: «Je n'ai pas vocation à accompagner les mourants ni à soigner les comas dépassés», affirme-t-il lorsqu'on lui demande avec quels partis il pourrait le mieux s'entendre. Et d'enfoncer le clou: «Les partis politiques creusent leur tombe. Ce sont les syndicats qui font des propositions dans tous les domaines.»

«L'opinion le suit lorsqu'il disqualifie le politique, lorsqu'il surfe sur son incapacité à faire ce que les gens attendent de lui», analyse Erwan Lecœur, sociologue. Certains le qualifient de populiste. En septembre dernier, Le Figaro Magazine l'a même classé parmi les poujadistes. Défendrait-il les paysans comme Pierre Poujade le faisait pour les artisans et les commerçants? «Si le syndicaliste ne défend pas des valeurs internationales sur les droits des peuples, il devient corporatiste, or le corporatisme a été mis en place par Pétain!» réplique-t-il au cours de l'émission Res publica sur France Inter, en novembre dernier.

«Il est devenu une marchandise médiatique, mais il refuse d'y réfléchir»

Reste que Bové jouit d'une étonnante popularité au sein de l'électorat d'extrême droite. «Ce sont des gens abandonnés de toutes parts, ni fachos ni racistes, analyse Jean-Emile Sanchez, l'un des neuf secrétaires nationaux de la Conf'. Ils voient à tort un cousinage entre la lutte contre le mondialisme de Jean-Marie Le Pen et celle de José.» «Quand on est perdu dans cette société, on est séduit par ceux qui gueulent contre elle, ajoute Bové. Les électeurs d'extrême droite peuvent suivre notre combat contre le bœuf aux hormones et les OGM, mais ils sont troublés lorsque je dénonce les conditions de détention dans les prisons françaises.»

De quoi lui donner le tournis: des commentateurs se répandent sur une alliance objective entre Bové et l'UMP, Jacques Chirac utilisant l'icône altermondialiste contre le PS, comme Mitterrand se servait de Le Pen contre la droite. Du coup, la proposition faite par France 2 au détenu José Bové bénéficiant d'un aménagement de peine d'être l'invité vedette de l'émission 100 Minutes pour convaincre aurait été destinée à embarrasser une gauche cherchant à se redresser. «On s'en fout si ce qu'on dit sert un camp politique, car on ne se situe pas dans ce champ-là!» réplique Nicolas Duntze, autre porte-parole de la Conf'. Bové accepte tous les plateaux de télévision: «A condition que je puisse m'exprimer librement sur une durée que l'on m'indique à l'avance et que l'on ne m'interroge pas sur ma vie privée.»

L'anarcho-syndicaliste parle devant tous les micros qui se présentent. Sans compter son temps et sans mépriser les petits médias. D'où sa popularité auprès des journalistes. «Il est devenu une marchandise médiatique, observe Denis Pingaud, mais il refuse d'y réfléchir pour ne pas heurter son narcissisme.» «Je lui ai conseillé de ne pas trop participer à des émissions de télé, mais il ne m'a pas assez écouté», regrette Bernard Cassen. Le président d'honneur d'Attac l'a aidé à préparer son passage à 100 Minutes pour convaincre, mais reconnaît que cela n'a pas été utile, tellement il est rodé. «Il veut connaître l'état de l'opinion, mais refuse d'en tenir compte», confie le directeur d'un institut de sondages avec lequel Bové s'est entretenu avant l'émission.

La prestation du leader paysan, tout juste sorti de prison, sur le plateau du grand rendez-vous politique de France 2 fut saluée comme une réussite. Le sociologue Erwan Lecœur a interrogé un échantillon de téléspectateurs, parmi les 3,2 millions qui ont regardé Bové ce soir-là, et n'a identifié que deux fausses notes: «En lançant à Etienne Baulieu, président de l'Académie des sciences: «Vous ne connaissez pas votre dossier!», Bové est apparu prétentieux; en refusant de condamner la destruction d'OGM médicamenteux, il est tombé dans un piège, donnant le sentiment de ne pas compatir à la souffrance de la mère d'un enfant atteint de mucoviscidose.»

L'Astérix de la cause anti-OGM a dû tenter de corriger son image de paysan hostile à la science et à la recherche, quasi rétrograde. Il soutient que les essais hors des laboratoires peuvent contaminer les cultures non transgéniques. Etienne Baulieu prétend le contraire: «Bové détruit les expériences par manque d'assurance, par crainte, par ignorance, par idéologie. C'est de l'obscurantisme.» «Le rapport de l'Académie des sciences sur les OGM n'est même pas contradictoire, alors que les chercheurs ne sont pas d'accord entre eux, réplique Bernard Cassen, directeur général du Monde diplomatique, prenant la défense du porte-parole de la Conf'. Si les OGM sont si inoffensifs, pourquoi les compagnies refusent-elles d'assurer les cultures transgéniques en plein champ?» Bové jouit, là encore, de l'appui de l'opinion, majoritairement hostile aux OGM... mais sans que ses actions de destruction illégales soient approuvées.

Le soutien du célèbre fumeur de pipe au théologien musulman Tariq Ramadan a été lui aussi controversé. Le 14 novembre dernier, l'émission Là-bas si j'y suis, sur France Inter, a lieu en direct du Forum social européen de Paris-Saint-Denis, autour de «l'affaire Ramadan». Alors que Michèle Dessenne, secrétaire générale d'Attac, tente, en vain, d'obtenir de Ramadan qu'il s'exprime sur l'égalité hommes-femmes, le droit à la contraception et à l'avortement, le leader paysan prend sa défense: «J'ai l'impression qu'il est devant un tribunal populaire et je trouve cela insupportable.» «Après l'émission, l'ambiance était lourde, confie Michèle Dessenne. J'ai heureusement reçu le soutien de jeunes musulmanes et de militantes de la Conf'... furieuses contre Bové.»

La diva moustachue est habituellement en meilleure posture. Elle répond aisément aux sempiternelles questions sur la violence de ses actions et le financement de ses déplacements. Ce n'est en effet pas du côté de la Conf' que sont conçues les actions syndicales les plus destructrices. Reste le nerf de la guerre, l'argent. Le 22 janvier, une journaliste d'une télévision indienne l'interroge encore: «Qui vous finance?» «Mon organisation syndicale paie mon hébergement à Bombay, dans un centre de vacances pour infirmières, pour 9 euros par jour en demi-pension, répond Bové. En 1999, on me posait déjà la même question, à Seattle, lorsque certains voulaient discréditer notre action.» Le coût des voyages à l'étranger de Bové et de ses amis serait de 50 000 euros, alors que les recettes annuelles de la Conf' sont de 4 millions d'euros, dont 1 million d'euros de cotisations versées par les 15 000 adhérents et 2 millions de subventions de l'Etat. Le gouvernement Raffarin vient d'ailleurs de supprimer 500 000 euros de dotation à la Conf'... et de rajouter 1 million d'euros à la FNSEA. Le porte-parole de la Conf' bénéficie, pour toute rétribution, de la mise à disposition d'un salarié agricole et il affirme n'avoir pas d'autres revenus que les 1 200 euros mensuels net que lui rapporte son exploitation.

«Je ne me retire pas contraint par une crise. J'ai besoin de recul»

Dans deux mois, va-t-il retourner auprès de ses brebis? Sans doute pas, car il souhaite se ressourcer autrement. Après une année 2002 douloureuse, notamment en raison d'une détention mal vécue, il a bénéficié d'un bon rétablissement en 2003. Pourtant, il appréhendait beaucoup ce nouveau séjour derrière les barreaux. «José a même envisagé de fuir à l'étranger pour éviter la prison», révèle Pierre-André Deplaude, ancien secrétaire général de la Conf'. Et son arrestation musclée, à l'aide d'un hélicoptère de la gendarmerie, reste un souvenir pénible. Malgré cela, il a relativement bien supporté ses quarante et un jours de détention, grâce à de nombreuses visites, à une forte mobilisation de ses partisans devant la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone et, surtout, au rassemblement Larzac 2003, en août dernier, au cours duquel 200 000 personnes ont fêté trente années de combat sur le causse. C'est devant ce «Woodstock de l'antimondialisation», comme a titré le New York Times, que José Bové a choisi de déclarer: «En avril 2004, j'arrête d'être porte-parole.»

Je voulais faire cette annonce à un moment de grand succès, afin que l'on comprenne bien qu'un mouvement ne s'incarne pas dans une personne et que je ne me retire pas contraint par une crise, explique-t-il. Je ne suis pas un surhomme et la lutte pourrait me détruire. J'ai besoin de recul pour avoir plus de cohérence entre mes discours et mes actions.» Il choisit de partir avant de craquer.

Que fera-t-il en 2004? Cet admirateur de Gandhi veut écrire un livre sur la désobéissance civile. «J'ai envie de me reposer, précise-t-il. J'ai besoin d'un temps de silence pour faire le point.» En juin prochain, il se rendra à São Paulo (Brésil) au congrès de Via campesina, une «Internationale» de syndicats paysans dont fait partie la Conf' et qui revendique 60 millions d'adhérents. C'est à ce niveau-là qu'il aimerait assumer, à l'avenir, une nouvelle fonction. Après avoir repris son souffle, José Bové pourrait ainsi poursuivre sa course folle autour de la planète, auprès des syndicalistes paysans, avec ce qui lui manque aujourd'hui: le mandat d'une organisation internationale.


(1) Le monde n'est pas une marchandise, par José Bové et François Dufour, juin 2002, Pocket, 340 p., 6 €.
(2) Marianne du 9 septembre 2002, entretien avec Philippe Cohen.
(3) La Vie du 13 novembre 2003, entretien avec Gérard Miller.
(4) La Longue Marche de José Bové, février 2002. Seuil, 258 p., 18 €.

Post-scriptum

En 2000, José Bové a accepté la publication dans Campagnes solidaires, le journal interne de la Conf', d'un courrier d'Alice Monier, sa compagne depuis 1971, qu'il vient alors de quitter. Cette missive, qui met en cause avec virulence le machisme des responsables du syndicat, a eu un effet inattendu: «Elle a favorisé un débat entre nous permettant d'améliorer la place des femmes dans nos instances dirigeantes», révèle la porte-parole de la Conf', Brigitte Allain.

Sources : L'EXPRESS

Publié dans Biographie José

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